dimanche 12 juin 2011

La peine de Mor


    Arrêtez ! Vous êtes dingues ou quoi ? Mor aime la vie coule en douce. Allez tambouriner le battant d'un voisin, pas le sien ! À quoi rime tout ce vacarme ? À gendarme ? Ah ! Bon, d'accord. On arrive de suite et on ouvre prestement vite fait. Il y a des plaintes ? Des vertes et des pas mûres ? Mor, pas trop joyeux, allègue malaise, mon capitaine, et plaide coup râble. Permettez-lui de liquider, en plaidoyer, l'honorable amende des dommages. Merci, votre excellente honneur. Procédurons donc, sans frelater, à relater les faits.




    D'ores et déjà, et désormais aussi, des ambitions plumières volaient dans la tête de Mor. Absorbé par la tâche sèche, rêche, éreintante, de coucher avec une penne sur du papier, des gaudrioles, il en avait mal au dos. La peine de Mor était terrible lorsque des coups peureux au début, crânes ensuite, dégringolaient dans un boucan d'enfer sur le portique du bloc à Mor. Il en raidi le cou, fâché d'être dérangé quoique pas encore assez fou pour ne pas comprendre la raison de cette foire. La rançon de la gloire frappait, comme une possédée, à son guichet. Il aurait dû s'en douter. Son entrain, preneur, avait franchi la barre aux mètres de succès. Les derniers deniers donnés au bouquiniste, contre un vieux dictionnaire désossé et un talent en échange, rendaient le prix du sacrifice bon marché. Son premier texte, son premier jet d'encre, avait dépucelé son anonyme modestie conglutinant à sa porte, des fauves avides de vie à Mor. Il ne pouvait plus les ignorer. Le succès, c'est fatiguant et déshonorant, comme le travail, mais ça donne de quoi manger, au moins.


    Alors, bien sûr qu'il aurait fallu les repaître, ces fauves. Une semaine de jeûne, seuls les hirsutes barbus le supportent. Eux étaient glabres. Elles aussi, heureusement. Mais, tous très vaches et ils en voulaient. Preuve en était, la frénésie du charivari menaçant la demeure. Aucune envie de l'ouvrir n'habitait serviteur. Personne ne peut être enclume et marteau à la fois et encore moins Mor, un limaçon qui d'habitude, revient bredouille de la chasse aux cagouilles. Très affairé qu'il était, voilà tout. Il essayait son savoir-faire, récemment découvert, à s'insérer sans hâte dans la presse. Ni échotier, ni bobardier, devenir journaliste était sa visée. Coûte que coûte, à court terme, il terminerait à la une en moins de deux. Il y bossait des matins entiers, divisé par l'incertitude quand tiquaient les idées. Telle était la raison de l'irresponsable abandon que reprochait la foule aux rageuses clameurs. Pourquoi s'être imposé cette torture ? Tout cela fut le fruit d'une conjecture, d'un présage à l'aurore.

    Obnubilé par l'aiguë gravité de l'état de la terre, il décida, un beau matin, de ne plus se lever gauche. Il fallait réagir. Les volutes du nuage de lait dans le thé l'induisait à l'extase. Mor pionçait presque encore quand il étira la lippe et aspira, d'un petit bruit discret, une goulée du breuvage fort, maté. C'était amer à boire. Soudain, l'idée l'assailli. Bon, chaud mais si bien sûr, le remède le réconfortait moins, ce matin. Il fallait le sucrer ! C'était ce qu'il manquait ! Troublé par la révélation, il saisi, de la gamelle en ferraille empruntée la veille Chez les mouches, le troquet d'en bas, une pincée de la douceur en poudre puis, tournoyant un signe de l'oseille inversé, saupoudra. Après avoir sucé le petit doigt qui lui servait de cuillère, il pompa de nouveau. Pouah ! Merde, c'est du sel ! La piaule de cinq mètres carrés, à la ronde aspergée de l'infecte mixtion, ressemblait maintenant plus qu'avant, au cabinet de l'étage de la pension. Au fond de l'étroit couloir, à droite de l'escalier, comme l'avait décidé le bougnat, il y a des lustres de ça, afin de pouvoir lancer d'un air entendu au client qui viendrait en cavalant une devant, l'autre derrière, lui demander : « les chiottes, c'est où ? » « Ben, en haut à droâte, comme partout ! » indiquait-il en dénonçant la dextre du Ciel d'un index cafardeur. Ça donnait de quoi réfléchir à l'ivrogne, et ne pas s'ennuyer tout seul, là-haut, en faisant ses matières. Pédagogue, le bougnat pratiquait la didactique matérialiste, ricanait-il goguenard, à tout fumiste qui osait s'enquérir.

    Mor, recueilli comme au passage d'un corbillard, contemplait le désastre. C'était beau, grandiose même. Le sel dans la tasse de thé, la bête métaphore s'imposait avec force. La bête à fort pouvoir de réveiller l'endormi, ce qui pouvait secouer les gobeurs de blagues du globe, c'était ça et rien d'autre. Il se souvint de Vox, un journaleux, un tantinet bizarre, qui faisait la guerre du papier à sa manière, farfelue. Il avait baptisé son canard, La Goure. Il lui en toucherait un mot, et quelques autres encore, puis les lui enverrait tant bien que mal écrits. C'était parti. 

    Un moment ! Pas si vite ! Par quoi commencer ? Euh... 

    Par le fric, pardi ! Le nerf des riches ! Si on tire dessus, ça les énerve et comme Mor ne mange pas de leur pain, ni d'aucun autre d'ailleurs, il s'en fout. C'était reparti.

    Il défit le noeud de la ceinture de sa robe de cambuse, en remonta les manches et se mit à la tâche. Ainsi Mor, bide à l'aise, sans couteau mais plume légère, partit en croisade. Les doigts croisés autour de la hampe, il se voyait déjà en haut de l'affiche, celle de Monsieur-le-Prince arménien. Et il se mit à noircir des feuillets jaunis. Quelques pages plus tard, commençait le bastringue, mon général. Intolérables, tous ces fous réclamant du Mor ! Alors vous êtes arrivé, force à l'ordre. Ce sont eux qui faisaient désordre interdit. Ils se sont vite débâclés en retraite quand ils ont vu pointer le képi à l'horizon. Comme des chauve-souris au soleil, qu'on dit. Mor fait foi qu'il ne roupillait pas. Qu'il trimait comme il faut. La preuve, c'est là. C'est pas encore là parce que Vox est fainéant. S'il se réveille, vous serez prévenu. Ça y est ! Considérez-vous prévenu, libéré de contraintes menteuses. Les portes de l'avenir sont ouvertes à ceux qui savent les enfoncer, comme disait un pestifère enfoiré d'un autre âge.

    Comprenez-vous alors, mon maréchal, qu'il n'est que peu fautif de son énervement ? Clémence et douceur d'étang sont miel aux forts en âge. De grâce, votre sagesse, épargnez la tête de Mor ! La Goure à Vox a besoin d'elle !


    Mor Aucon.

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